Si Les voies du seigneur sont impénétrables, celles de la justice pénale internationale s’apparentent à une autoroute à sens unique, reliant l’Afrique à la cour pénale de la Haye. Cette voie rapide, balisée par les puissances occidentales, Laurent Gbagbo l’a emprunté le Mardi 29 Novembre. Par voie aérienne en direction de l’aéroport de Rotterdam, à bord d’un avion “gracieusement” affrété par l’armée française, puis par voie terrestre en direction de la prison de Scheveningen.
Les mains propres…
Alassane Ouattara, le Ponce Pilate ivoirien, n’aura pas besoin de se laver les mains, le sale boulot aura été abattu par Guillaume Soro, mais surtout par l’ami Nicolas Sarkozy. Un homme attentionné ayant poussé la délicatesse jusqu’à déloger l’ancien chef d’état ivoirien de sa résidence abidjanaise avant de lui offrir un billet d’avion gratuit pour les Pays-Bas. L’épilogue de la crise née à la suite de la contestation des résultats du second tour de l’élection ivoirienne était prévisible et attendu. Dans un ordre juridique international où force fait droit, le transfèrement de Laurent Gbagbo vers la CPI n’était qu’une question de temps d’autant plus que le nouveau contremaitre ivoirien, le préfet-sident Alassane Ouattara n’a jamais brillé par sa finesse politique. Alors que les bandits en babouches du CNT, amis du comique troupier BHL, ont tenu à juger le fils Kadhafi eux-mêmes, le chef d’état ivoirien a préféré se débarrasser de l’homme ayant rassemblé il y a un an, la moitié des suffrages ivoiriens, cela deux semaines avant la tenue d’élections législatives qui seront , sans doute aucun, transparentes et démocratiques…
Temps long et perspectives…
Le renvoi de l’ex-président ivoirien dans le box des accusés de la CPI est à analyser non pas à travers le prisme de la politique interne ivoirienne mais l’aune des enjeux géopolitiques internationaux. Cette nouvelle donne ayant consacré une France bras armé des Etats-Unis en Afrique, ayant procédé, au nom de la fameuse « Communauté internationale », à la mise à jour partielle du partage berlinois de 1885. En effet il faut se replacer dans un temps long et adopter une perspective plus large pour contextualiser et redonner tout son sens à la mascarade judiciaire qui va nous être servie par la CPI. Il est également nécessaire de s’écarter de la dialectique imposée par les médias de masse occidentaux en général , français en particulier, qui ont transformé une situation politique interne complexe, modelée par la réalité souterraine des rapports de force internationaux en affrontement binaire et manichéen entre le méchant Laurent Gbagbo, «l’africain», et le gentil, car presque blanc, Alassane «voyez ma femme » Ouattara.
Il faut comprendre l’absence d’objectivité des médias français comme la manifestation involontaire des forces invisibles (non mystiques ou occultes mais œuvrant à l’abri du regard du public) qui permettent à la France et ses entreprises de maintenir une présence intéressée et spoliatrice sur le sol africain.
Par ailleurs, cette présence subie à contrecœur par les dirigeants africains ne peut être l’objet de contestation. La situation économique catastrophique du bloc occidental impose de facto la mise au pas des récalcitrants. Laurent Gbagbo qui s’était manifesté à l’ancien maitre par son insolence et une relative liberté de ton ne pouvait qu’être écarté du pouvoir. Sa volonté de ne pas respecter le diktat élyséen amenât Sarkozy à personnaliser l’affrontement. Dès lors son sort était scellé et le châtiment à venir, exemplaire. Au grand dam d’Alassane Ouattara, une sortie à la Kadhafi lui sera épargnée. Il sera à la place, exposé telle une bête de foire, dans le box d’une cour internationale, émanation d’une justice qui loin d’être aveugle est totalement instrumentalisée.
La sélection naturelle…
Alors que les plus grands criminels internationaux se recrutent majoritairement dans les pays occidentaux : M. Kissinger responsable des bombardements des populations civiles au Laos et au Cambodge, de l’installation de Pinochet et du renversement d’Allende , de la tentative d’assassinat de Mgr Makarios à Chypre entre autre méfaits, messieurs Bush, Cheney et Rumsfeld responsables au bas mot de la mort de 655 000 civils irakiens au cours de la fameuse seconde guerre d’Irak, d’un coup d’état lamentablement manqué en 2002 contre Hugo Chavez, messieurs Obama, Cameron et Sarkozy responsables de la guerre en Libye, ayant coutée la vie à plusieurs dizaines de milliers de civils libyens, Laurent Gbagbo se voit attrait devant la CPI pour les 3000 morts du conflit post-électoral ivoirien. Est-il manquer de respect aux victimes de ce conflit, attisé délibérément par la France et la «Communauté internationale» (refus du recomptage des bulletins de vote au profit d’un bain de sang), que de dire que la qualification de crime contre l’humanité chantée à tue-tête par les thuriféraires de l’ordre juridique international, ne repose sur rien d’autres que des hypothèses non vérifiées et une distorsion de la réalité ?
Honneur à l’Afrique…
Le rapport sur le massacre de Duékué, imputable aux brigands armés ouattaristes (soutenus par une France qui ne peut s’empêcher d’être partie liée aux génocidaires et criminels de tout poil opérant sur le sol africain…), rédigé par l’organisation humanitaire pourtant partisane Human Right Watch, dressait pour ce seul méfait une fourchette de 800 à 1500 civils tués. Alassane Ouattara, autorité suprême de cette soldatesque devrait, selon les règles élémentaires de l’algèbre se trouver aux cotés de Laurent Gbagbo, s’il était réellement question de rendre justice.
Il n’est pas question de deux poids deux mesures, car l’on serait encore dans le cadre d’une justice respectant des règles vérifiables car quantifiables. Non il s’agit d’une justice folle et opportuniste, contextuelle et arbitraire, que Clausewitz aurait pu qualifier de poursuite de la politique par d’autres moyens. Le chef d’état africain était déjà réputé pour sa valeur bon marché sur le plan politique : il ne coutait pas grand-chose de le porter au pouvoir et une fois installé, il n’était pas onéreux de le soudoyer. Il est aujourd’hui de notoriété public qu’il est facilement transférable devant la CPI, et est le seul type de chef d’état qu’on y juge. La CPI devrait penser à s’installer en Afrique, elle réduirait ses frais et n’ayant vocation à juger que les récalcitrants continentaux elle prendrait toute sa dimension…
Un avenir en pointillé…
Jean Ping avait gesticulé il y a quelques mois, menaçant les européens qui financent l’organisation qu’il représente, l’UA, de créer une juridiction pénale propre à l’Afrique. Force est de constater qu’il s’agissait de paroles en l’air qui ne pouvaient être suivies d’effet. L’Afrique et les africains s’apprêtent à boire une pleine coupe de potion amère lors de la tenue des audiences à venir. L’humiliation de la capture de Laurent Gbagbo par les troupes françaises, maquillée en victoire de l’armée d’Alassane Ouattara, ne sera rien face à la mise en scène racoleuse à venir.
La vérité nue et froide s’impose aux peuples africains aujourd’hui et plus que jamais, la liberté et l’indépendance n’ont toujours pas trouvé le chemin devant les mener au continent noir. La configuration des rapports de force, et les affrontements bloc à bloc à venir, incitent au pessimisme. L’Occident et plus particulièrement les Etats-Unis sur le déclin, vont chercher à garantir leurs positions et leurs intérêts, notamment en Afrique où la lutte avec la Chine fera deux victimes déjà désignées : l’Afrique et ses populations.
Le plan américain de recolonisation de l’Afrique, ébauché avec l’AFRICOM, a pris forme avec le renversement de Laurent Gbagbo et l’assassinat de Mouammar Kadhafi. Dans la foulée, le prix Nobel de la guerre, Barack Obama a annoncé le 14 octobre dernier l’envoi de troupes spéciales en Ouganda. Bien évidemment les raisons invoquées pour justifier le déploiement d’hommes et l’acheminement de drones, afin de lutter contre une LRA* qui ne compte que 400 hommes, sont d’ordre humanitaire.
Ce mensonge peu discuté dans les grands médias n’est qu’une étape qui verra le déploiement de troupes américaines en RDC et au Sud-Soudan. La lutte avec la Chine promettant d’être rude, il est impératif pour l’Oncle Sam de disposer de forces sur places. A terme les Etats-Unis prévoient d’installer plus de 120 000 hommes en Afrique, pour lutter disent-ils, contre le terrorisme…
La force ne fait ni droit ni justice…
Le contexte international indique que l’Afrique sera, pour les décennies à venir, le continent-trophée que se disputeront occidentaux et chinois. L’Afrique récoltera mécaniquement ce qu’elle sème aujourd’hui, notamment les effets secondaires du lâchage en règle de Laurent Gbagbo par ses pairs africains. Aux yeux de l’Occident, il ne s’agit aucunement de justice, mais de l’imposition d’un rapport de force et d’une mise en garde. Au-delà de la tragédie personnelle pour Laurent Gbagbo et ses proches, au-delà des troubles inter-ivoiriens que risque de déclencher cette forfaiture, c’est une certaine image de l’Afrique qui se dessine en creux. Celle d’une Afrique inféodé aux multinationales occidentales, sous tutelle et qui fait peu de cas de sa fierté. Les dégâts causés par cette énième humiliation dans l’inconscient collectif africain, ne se mesureront qu’avec le temps, mais une chose est certaine, il n’y a pas matière à se réjouir pour l’Afrique. Il faut ici le répéter, il ne s’agit pas de justice, mais de rapports de force internationaux.
Il faudrait être tombé bien bas pour reconnaitre à l’Occident la moindre parcelle d’une légitimité lui permettant d’assurer le respect de la justice et des droits humains, lui qui sait si bien les bafouer lorsqu’il est question de sa survie et de la défense ses intérêts…
Ahouansou Séyivé
Ancien militant du Parti socialiste français
Animateur du blog (Alternatives et Cohérence)
*LRA : Lord’s Resistance Army
Comment la spoliation de l’Afrique a causé le déclin de l’occident
Il est incontestable que la déportation des Noirs d’Afrique pour aller travailler comme esclavages en Europe et en Amérique a beaucoup aidé pour l’édification de la structure économique de l’occident. Et c’est là le paradoxe. Parce que c’est aussi cette pratique qui a contribué à miner et fragiliser son envol industriel. Si l’occident s’était développé sans recourir à cette main d’œuvre gratuite elle serait plus forte aujourd’hui. C’est justement cette pratique qui l’a fragilisé, surtout lorsqu’on sait qu’elle n’en avait pas besoin.
Avec ou sans les esclaves venus d’Afrique, les Etats-Unis d’Amérique se seraient développés de la même manière. Avec ou sans esclaves africains, l’Europe se serait développée de la même manière et peut-être même plus. Elle se serait passée du Cacao, du café etc… mais le fait de se passer d’une tablette de chocolat ou d’une tasse de café ne change rien sur le devenir d’une civilisation.
Le père de la science économique moderne, l’Ecossais Adam Smith écrivait que « l’expérience de tous les temps et de tous les pays s’accorde, pour démontrer que l’ouvrage fait par des mains libres revient définitivement à meilleur compte que celui qui est fait par des esclaves. »
Il disait ainsi qu’au-delà de l’immoralité de l’esclavage, il y trouvait aussi une stupidité économique. En effet, à bien y regarder, on peut dire avec précision que l’esclavage et la colonisation ont fragilisé économiquement l’occident plutôt que le rendre fort ; le recours à une position de rente a faussé les règles de jeu du marché parce qu’il y avait un acteur (l’occident) qui est arrivé déjà avantagé puisqu’il pouvait recourir à une main d’œuvre gratuite.
L’esclavage et la colonisation des Africains a affaibli l’Occident
Imaginez d’avoir dans votre château, 20 employés de maison pour assurer le jardinage, la cuisine, le pressing, la vaisselle, la propreté des locaux, le repassage etc… et tout cela gratuitement, sans que vous payiez le moindre centime. Grâce à ces esclaves, vous aurez un très haut niveau de vie, mais qui au fond n’est qu’artificiel, parce qu’il vient du fait que ces esclaves ne sont pas en mesure de se rebeller et de revendiquer leurs droits, leur paie pour les services qu’ils vous rendent.
Le jour où, ils commenceront à fréquenter les voisins, à communiquer avec d’autres semblables, ils prendront conscience de leur état et lorsqu’ils auront la force et le courage de mettre fin à cet état de subordination, pour maintenir le même niveau de vie, vous serez obligé d’emprunter de l’argent pour payer les esclaves d’hier et le processus de surendettement et donc de faillite est enclenché. C’est la situation de l’Europe aujourd’hui et qui vient en partie aussi d’Afrique, au fur et à mesure que l’Afrique se libère grâce surtout aux immenses investissements des capitaux chinois, qui permettent aux Africains de prendre conscience de l’ampleur des conséquences même mentales de leur esclavage passé et présent qu’ils ont subi.
Il y a eu certes cette longue avance technologique de l’Occident sur toute la planète, avance purement virtuelle ne reposant sur aucun fondement concret solide. Et comme on pouvait s’y attendre, cette position de rente, c’est-à-dire d’avantage non mérité, a poussé leurs bénéficiaires à dormir sur leurs lauriers, convaincus que le monde était immuable, statique. Ils étaient convaincus que l’Asie serait toujours comme ils l’ont défini eux-mêmes, que ce soit la Chine ou l’Inde, un « géant endormi », que l’Afrique resterait pour toujours uniquement un réservoir de matières premières.
Grave erreur de calcul, puisque toutes les autres régions du monde qui ont été victimes de ce marché truqué d’avance par le premier arrivé, ont eu une double rage pour rivaliser en imagination afin de corriger cette distorsion. Et lorsqu’ils y parviennent, ils sont mis sur une rampe de lancement que rien ne semble arrêter.
Et c’est ce qui justifie qu’ils se développent plus vite, sur des bases plus solides que le premier arrivé qui, habitué à ne tenir debout que grâce aux artifices, est balayé très vite au premier vent contraire. C’est ce qui explique que c’est l’économie occidentale qui a été minée depuis l’origine et pour 400 ans d’une rente qui ayant trop duré lui a fait bâtir sa fortune sur une sorte de sable mouvant. Et au premier vrai vent venu d’Asie en attendant celui qui arrivera d’Amérique du Sud et d’Afrique, c’est tout l’édifice qui est en train de basculer.
Conclusion :
L’esclavage et la colonisation de l’Afrique ont été incontestablement des éléments perturbateurs dans la vision que les occidentaux se font du monde. Ces deux faits graves ont été comme une lentille déformante qui ont privé presque tout l’occident de la perception réelle d’un monde qui était en train de changer autour d’eux, à leur insu. Pour l’histoire, les pays Européens qui avaient bénéficié du Plan Marshall du président Américain Truman en 1948, consistant en un prêt de 100 milliards de dollars américains, n’ont jamais pu rembourser que 20 milliards, c’est-à-dire 20% seulement.
Jean-Paul Pougala
pougala@gmail.com
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(*) Jean-Paul Pougala est un Ecrivain Camerounais, Directeur de l’Institut d’Etudes Géostratégique et Professeur de Sociologie et Géopolitique à la Geneva School of Diplomacy de Genève en Suisse.