L’actualité africaine n’a jamais été l’exutoire des médias français que lorsque celle-ci est faite de guerres, de crises institutionnelles, de maladies, de famine, de sous-développement, bref de tous les maux dont souffre le continent africain. Cette presse hexagonale, manichéenne à souhait, et dont l’inclination congénitale à la versatilité et la manipulation sont connues, reste malgré tout, celle dont l’audimat est le plus grand, notamment dans l’espace francophone. Sacré paradoxe pour tous ces Africains qui ont toujours maudit « les méfaits de la colonisation française et les crimes de la France en Afrique». Le Cameroun, bien qu’à proprement parler, n’ait jamais été une colonie, fut sans doute le pays qui paya le plus lourd tribut de l’impérialisme français, avec non seulement la décapitation de la crème des principaux leaders nationalistes, mais aussi et surtout, des massacres perpétrés par l’armée française avant et après l’indépendance du Cameroun.
Des médias qui sont davantage des instruments de propagande et d’espionnage au service du gouvernement et des lobbies économiques français que des organes classiques d’information, de véritables cache-sexes au service d’une politique néocolonialiste en vigueur dans les ex-colonies françaises. Conséquence, cinquante ans après une indépendance politique octroyée par l’ancienne métropole à ses colonies d’Afrique, les médias français sont justes après les gouvernants et les milieux d’affaires, le principal instrument d’aliénation et d’assujettissement de l’Afrique. La situation est déplorable, surtout dans le pré-carré, lorsque sous le couvert d’une couverture médiatique ou d’enquête journalistique, et nonobstant l’image du professionnalisme qu’ils laissent transparaitre, les médias français se positionnent davantage comme le porte-parole de leurs dirigeants. Des exemples sont légions : que ce soit en Côte d’Ivoire avec l’éviction du président Laurent Gbagbo au profit d’Alassane Dramane Ouattara en avril dernier, ou encore en Libye, où les pays de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), avec comme chefs de file la France et les Etats-Unis, ont renversé du pouvoir, puis tué la semaine dernière, le « Guide » de la révolution libyenne Mouammar Kadhafi.
L’art de la manipulation et de la désinformation
S’agissant de l’élection présidentielle du 9 octobre 2011 au Cameroun, la presse française, comme c’est le cas pour tous les pays du pré-carré qui vit cet événement politique majeur, s’est fortement mobilisée pour couvrir cette importante actualité politique. Ce qui est frappant dans les rendus des confrères hexagonaux, c’est parfois la distance entre les suppositions, les supputations, les procès d’intention et la réalité, basée en principe sur les faits.
Du coup, les reportages, commentaires, analyses et chroniques se situent généralement dans le sens du vent, c’est-à-dire, là où se trouvent les intérêts de la France. Sinon, comment comprendre que ce sont ces mêmes médias français, qui, pour peu qu’ils passent à la caisse, disent tout le grand bien du Cameroun et de ses dirigeants. Le président Paul Biya est alors présenté comme un « sphinx », qui a su préserver la paix au Cameroun dans « une Afrique centrale minée par les guerres fratricides et une instabilité institutionnelle chronique». Le Cameroun est alors présenté comme un pays où « la presse est libre plus qu’en France », un pays où « on n’est pas inquiété pour ses opinions politiques », Paul Biya étant présenté comme un « sage Africain »…
Comme on peut le constater, cette peinture blanche des gouvernants est généralement assujettie à la mobilisation de fortes sommes d’argent, la plupart de ces publi-informations étant prises en charge par le contribuable camerounais, sauf dans le cas du marché des dupes, où des magnats de l’économie française acceptent de payer la note. L’un des exemples en date remonte à juillet 2009 lors de la toute première visite officielle de Paul Biya en France sous la présidence de Nicolas Sarkozy, où Vincent Bolloré dont l’étendue de l’empire au Cameroun se passe de tout commentaire, avait pris en charge, la « promotion de l’image de marque du Cameroun et de son président dans les médias français », d’où de « bons articles » sur le pays de Paul Biya, aussi bien dans la presse audiovisuelle, écrite que cybernétique.
A contrario, quand cette presse française ne passe pas à la caisse, ce sont des articles au vitriol qu’on lit sur le Cameroun. Aussi, Paul Biya est présenté comme un « sanguinaire », un « tyran », un « roi fainéant », un « absentéiste notoire qui gouverne par procuration », et son régime présenté comme très corrompu, sinon le plus corrompu au monde, un pays où le chômage est endémique, où les gens meurent de famine, où la justice n’existe pas, où la démocratie va plutôt à reculons, où la presse est bâillonnée. Dans leur volonté de tout noircir, des médias français ne manquent pas de tenter d’opposer les Camerounais entre eux, dénigrent la campagne d’assainissement des mœurs dans la haute administration connue sous le vocable de « l’opération Epervier », décrivent une économie exsangue malgré d’incommensurables potentialités, avant de conclure sur un pays dans l’impasse. En début de ce mois d’octobre, alors que le pays était en plaine campagne électorale, le célèbre journal Le Monde dont les lecteurs n’ignorent pas les gros plans sur le Cameroun, « un pays dans la voie de l’émergence » quand cela participe à renflouer les caisses de la boite, ont découvert « un reportage » d’un autre style, où tout ou presque, est peint en noir.
Le Cameroun n’est ni un paradis, ni un enfer
Dans sa volonté d’en découdre avec le régime en place, le journal ne manqua pas d’écrire noir sur blanc que depuis vingt ans, Paul Biya n’avait plus mis les pieds à Douala. Mensonge. Certes, si on ne connaît pas particulièrement au locataire d’Etoudi des qualités de grand voyageur dans son pays, même ses pourfendeurs les plus acerbes qui connaissent les réalités du pays ne pourraient être d’accord avec ce mensonge du journal Le Monde. Oui chers confrères de la presse française, sans être un paradis, le Cameroun n’est pas non plus un enfer. C’est un pays qui a ses tares : corruption, clanisme, sectarisme, favoritisme, inertie, détournements de deniers publics, roublardise des dirigeants, laxisme de l’administration, mauvaise répartition du patrimoine national, insuffisance des écoles et des hôpitaux, adduction d’eau et électrification insuffisantes, mauvais réseau routier, chômage…, mais c’est un pays qui bouge, et poursuit sa voie vers le développement et ses millions de citoyens croient en son avenir, et mettent toutes leurs forces, toutes leurs énergies et tout leur savoir-faire pour son essor et pour le bien-être de ses populations.
Malheureusement, cette presse française, à la fois versatile, manipulatrice, manichéenne, mieux, en mission commandée, est reconnue pour son inclination à donner les leçons de déontologie et de professionnalisme aux autres. Cette catégorie de la presse française, où tout « bon article de presse » se joue par l’épaisseur du chèque ou du virement, est encore la première, sous une forme déformée, à s’ériger en modèle lorsqu’il faut perpétuer la Françafrique. Dommage que les dirigeants africains en général et ceux de l’espace francophone en particulier, par complexe du Blanc ou par souci d’obtenir l’adoubement de Paris, essaient toujours de faire des médias français, leur principal vecteur de communication. Est-ce parce qu’ils sont mal élus ? En tout état de cause, il y a lieu d’espérer pour un affranchissement dans les prochaines années. Les pays comme le Rwanda avec le président Paul Kagamé essaient de montrer la voie, convaincus que « la liberté ne se donne pas, elle s’arrache ». Aux autres de piger la leçon.
Une chronique de A. Mbog Pibasso